Chercheur devant l’éternel
J'ai une toute nouvelle théorie dont j'aimerais vous faire part.
La dose de laque dans les cheveux des serveurs d’un restaurant est-elle un bon indicateur du montant finale de votre addition ?
Dans un souci scientifique, je me suis donné une semaine pour mener l’enquête et statuer sur la question.
J’ai débuté par un snack du coin de la rue. La nourriture y était aussi grasse que les cheveux de la serveuse étaient libres et naturels, à la limite de la dreadlock autoformée. Quant à l’addition, elle ne dépassait pas les deux chiffres.
Mes recherches commençaient bien.
Direction ensuite un restaurant nouvelle formule, du type de ceux qui n’ouvrent que les midis en semaine, en proposant seulement quelques plats bios faits à partir de produits locaux. Le serveur, les bras pleins de tatouages, était en train d’attacher ses cheveux longs en une espèce de manbun improvisée. J’ai remarqué l’attention qu’il a porté à laisser une mèche bouclée ressortir de l’élastique. Sûrement pour avoir quelque chose avec quoi jouer pendant les temps calme de son service. La note ? Une quinzaine d’euros pour un plat et un café.
Ma troisième destination a été une brasserie française. J’avais en tête que le classicisme de ce type de restaurant se retrouverait aussi dans la tenue de l’équipe de service. Et j’ai vu juste. Fini les cheveux au vent. Ils étaient ici bien disciplinés. Queue de cheval pour mesdames, buzzcut pour messieurs. Cette fois, la note se rapprochait de la quarantaine d’euros.
Ensuite, virée dans un restaurant bistronomique. Les costumes commencent à habiller serveurs et serveuses. Les cheveux étaient tirés, plaqués sur le crâne. Chignons bien serrés, cheveux masculins domptés. Rien ne dépasse. J’en étais presque à me demander si je me trouvais toujours au restaurant ou si je m’étais téléporté dans la queue d'un recrutement militaire. Enfin, si l’armée servait des plats tels que ceux-là, je m’engage dès demain. Ici, l’addition flirtait avec la centaine d’euros.
J’ai terminé mon enquête par un étoilé. Tout dans ce restaurant était maitrisé à la perfection. Les plats, la décoration, les vins, le service. Chaque fois qu’une serveuse me passait devant, l’air embaumait cette odeur entêtante de L’Oréal Elnett. Le souci du détail était à peine perceptible, ce qui est signe que ce dernier aussi, était bien maitrisé. Et sans surprise, la note était astronomique.
Ruiné, mais heureux d’avoir pu confirmer ma théorie, je me dis que je mérite bien un nouveau resto avant de commencer l’écriture d’un papier relatant cette expérience très scientifique. Je ne vous cache pas que je mise gros sur ce papier. Il devrait faire du moi un ponte en sociologie de la chevelure restaurative, domaine en plein essor en ce moment.
Je choisis un endroit à la hauteur de mes moyens récemment devenus modeste : un restaurant de spécialité giratoire turque. Et c’est là que tout s’est écroulé.
Alors que la note ne dépassait pas les 7,50€, les trois hommes s’affairant derrière le comptoir ont mis à plat ma belle théorie. Arborant tous trois une splendide chevelure noire, ils les avaient domptés avec un bon paquet de gomina, style Marlon Brando dans le Parrain.
Mes rêves de grandeurs scientifiques se sont écroulés.
Ne me restait plus sur les bras qu’un malheureux dürüm et quelques kilos en trop.
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