Coming out contemporain
À 30 ans passés, il est temps de faire mon coming out. J’ai longtemps tourné autour du pot. Je ne souhaitai pas sortir du cadre. Il fallait me conformer aux attentes. Ne pas faire de pas de côté. Rester noyé dans la masse. Mais ça suffit !
Il est venu le temps de l’audace. De mettre en avant qui je suis vraiment. C’est l’heure d’oser le dire.
Je ne comprends rien à l’art contemporain.
À chaque visite dans un musée, à chaque vernissage où l’art contemporain est mis à l’honneur, je me pose la même question. Que suis-je censé comprendre ? Ma première pensée est immanquablement la même : « On se moque de moi. Où est la caméra ? ».
Pourquoi rendre honneur à un tableau tout blanc, légèrement désaxé, dépassant sur une ouverture de porte avec une ligne au fusain reproduisant cette ouverture. Que dois-je comprendre de tout cela ?
Comment réfréner la pensée suivante : « J’aurais pu faire pareil. Un enfant de 3 ans aurait fait mieux ». Certes, je ne l’ai pas fait. Et il faut admettre que Fortune favours the bold. Mais cela mérite-t-il mon attention ?
Alors, comme un bon élève, je me dirige vers le cartel. Ce fameux sésame qui va illuminer ma compréhension. C’est souvent écrit trop petit. Une fois sur deux, je me retrouve derrière quelqu’un qui a la bougeotte et ça me donne le mal de mer. Tout cela pour lire une courte biographie sur l’artiste et rien sur « l’œuvre ».
Le plus artistique, selon moi, demeure le titre qui a été donné à cette œuvre. Mon préféré est « Sans titre ». D’autres sont plus poétiques : « Empreintes de pinceau n°50 répétées à intervalles réguliers de 30 cm ».
Et ça encore, ça passe. Ça ne gêne personne. Il est facile de détourner son attention. Non, le pire, à mon humble avis, réside dans l’art performatif. Si je ne souhaitai pas garder une certaine propension à la contenance, j’irai même jusqu’à dire que je vomis ce type d’art.
Génie de la couleur, connu pour avoir déposé le brevet de mon pigment, je décide d’inviter tout un parterre de gens bien mis. Tenue cocktail exigée. À la droite de la scène, un orchestre de chambre accorde ses instruments. J’entre sur la scène, smoking noir et gant blanc. Je me penche vers mon public pour le saluer, puis un quart de tour et je répète la même chose en direction de l’orchestre. Petite tape dans mes mains et trois femmes sortent des coulisses, complètement nues. L’orchestre se met en branle. Je renverse deux seaux de peinture au sol et fais signe à mes muses de se rouler dedans. Puis d’aller appliquer leur corps sur le mur du fond, recouvert d’une toile blanche. Ce pendant cinq minutes. Pour combler le vide, j’agite mes mains et fais de grands mouvements de bras. Le tout accompagné par une symphonie de mon invention. La Symphonie Monoton-Silence. Parce que je suis généreux, et souhaitant partager avec la masse, je prends l’initiative de filmer cette performance.
Alors si c’est cela l’art contemporain, je préfère m’en passer. Devenir un ignare [ignart ?].
Allez me promener dans les rues, les sens à l’affût. Surprendre une conversation rigolote. Mettre son nez dans les fleurs d’un oranger du Mexique. Regarder les jeux d’ombres entre le cyprès d’en face et la façade jaune safran. Plonger mes mains dans des sacs de grain.
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