Défi d'écriture - Jour 2 : Ghost and Story World

Ghost and Story World "Describe a significant past event or wound (ghost) that still haunts your protagonist and shapes their current behavior. Then, describe the unique world they inhabit and how it reflects or magnifies their inner struggle."

La guerre, Ned essaie de ne plus trop y penser. C’est d’ailleurs pour ça qu’il est venu s’installer en bord de mer. Mais parfois, ça le rattrape. Les déclencheurs sont multiples et variés : un engin de chantier trop bruyant, un avion de ligne qui vole trop bas, un coureur qui le frôle.  

En 1992, il avait 16 ans. Il se souviendra toujours du 6 avril de cette année. C’était la répétition générale de son premier rôle d’importance. Son rêve de devenir acteur se concrétisait enfin !

Le directeur du théâtre a interrompu la représentation et, d’une voix blanche, a annoncé le début de la guerre. « Tous les hommes en âge de prendre les armes sont réquisitionnés. Il vous est demandé de vous rendre au plus vite à votre mairie de quartier. »

Ned ne saisit pas complètement le sens de ces mots. Il comprit simplement que la première de la pièce était reportée à un jour indéterminé.

Il se souvient avoir ressenti une peine immense. Il se voyait déjà déclamer du Shakespeare dans les plus grands théâtres européens. Il se souvient aussi ne plus savoir que faire. Trop jeune pour s’engager dans le conflit, il était condamné à attendre que cela passe.

Les premiers jours du conflit était curieux. Les informations de l’autre bout du pays étaient glaçantes mais dans sa ville, rien. Chacun vaquait à son quotidien. Il y avait certes quelques injures raciales proférées de-ci, de-là mais on avait déjà entendu bien pire et personne n’en avait pris ombrage.

Ce n’est que début mai que la guerre a vraiment impacté son quotidien. Une dispute entre voisin qui a dégénéré. Un homme mort. Un autre devenu assassin. Plutôt que de le livrer à la justice, les membres de sa communauté ont poussé un cri de joie. Le nationalisme a tout emporté. Le voisinage n’a plus aucune importance. L’abcès était crevé. L’horreur pouvait commencer.

Ned ne pouvait plus faire confiance à personne. Sa mère souhaitait le garder auprès d’elle mais il étouffait chez lui. Il voulait voir de l’action. Si bien que dès le mois de juin, il a trafiqué ses papiers, s’est vieilli de deux ans et est parti s’engager.

Il n’a que peu de mémoire de cette phase de recrutement et d’entrainement. Une chose l’a pourtant marqué. « Ned B. Vous êtes affecté à la compagnie X. Nous vous sommons de vous présenter dès demain sur le théâtre d’opération. »

Après de nombreux mois, enfin l’occasion de remonter sur les planches ! Il a très vite déchanté quant au sens exact de cette expression.

Du reste de la guerre, Ned préfère ne pas en parler. Il coupe court à la conversation. Il dit avoir été traumatisé. C’est peut-être ce qui explique son fort penchant pour l’alcool fort et les drogues dures. S’offrir la possibilité d’inhiber sa conscience pendant quelques heures, d’oublier, pour un temps, les horreurs vues et faites.

Ses proches l’ont pourtant encouragé à emprunter d’autres chemins pour exorciser ce passé sombre. La psychanalyse, l’art-thérapie, le sport, le voyage... Il a tout essayé mais seules les substances psychotropes semblent fonctionner pour lui. Les psychotropes et l’exil.

Les trois ans de cette guerre ont trop endommagé l’image qu’il avait de son pays. Ce pays n’existe même plus d’ailleurs. Il a été décortiqué, coupé en morceaux. C’était le seul moyen d’apaiser les tensions. Continuer à vivre là-bas était trop dur pour lui. Les souvenirs à vifs, il a rassemblé ses quelques possessions et a pris la route. Ne sachant pas très bien où poser ses bagages, il s’engagea à bord d’un bateau de croisière et parcourut toutes les mers du monde pendant une dizaine d’années.

Fatigué de ce mode de vie et enfin plus en paix avec lui-même, il s’établit dans cette ville portuaire du sud de la France. Sa quête de tranquillité allait désormais se dérouler au bruit assourdissant des cigales.