Hommage à ma voisine
Je m’appelle Simone et j’ai 87 ans. Ma mère m’a donné naissance juste à côté de l’Eglise, rue Emile Zola. Et je n’ai jamais vraiment bougé d’ici. Mazargues, c’est mon quartier et je l’aime.
J’ai tout connu ici. La Guerre et ses privations. La libération et son lot d’espérance. Les premiers flirts ainsi que les premières déceptions amoureuses. Mon mariage avec le bel Hector, qui n’est jamais vraiment revenu entier de son passage en Algérie. Sa mort soudaine, au volant d’une Peugeot 404, dans un virage de la Gineste.
Puis ma lente reconstruction. Cela m’a pris bien dix ans pour accepter. Le premier jour au cours duquel je n’ai pas eu de pensée pour lui m’a marqué. Qu’est-ce que je m’en suis voulu. J’ai eu le sentiment de le perdre une seconde fois.
Et puis j’ai rencontré Pierre. On travaillait ensemble à la Ferme. Pierre a su prendre le temps, a su m’écouter, me laisser de l’espace quand il le fallait. Qu’est-ce qu’il m’a fait rire. Ça faisait du bien de retrouver cette légèreté. On a eu une fille ensemble, que l’on a appelée Claude.
Pierre est parti avec une autre le lendemain des 18 ans de sa fille. Claude est partie à la Capitale peu de temps après pour ses études. Je me suis retrouvée seule une nouvelle fois.
C’est à ce moment que les premiers troubles ont commencé. Je commençais à devenir vulgaire, sans trop le vouloir. Alors certes, je gardais beaucoup de rancœur pour Pierre, mais ces élans de violence verbale étaient dirigés envers de simples passants. Je ne m’en rendais pas vraiment compte d’ailleurs. C’était après coup que j’en prenais conscience. En les voyant me dévisager, un voile d’inquiétude sur le visage.
Je me confondais en excuse et filais chez moi. Mais la maison était pleine de souvenirs. Alors j’ai déménagé, dans une résidence toute moderne, à deux minutes de la maison. Je me suis dit que repartir à zéro sera plus facile.
Mais mon état a empiré. D’après ce que les voisins me disent, je crie toute seule dans mon appartement. Je hurle des ignominies, qui, lorsqu’elles me sont rapportées, me donnent envie de me cacher.
Moi qui aimais tant sortir respirer l’odeur des aiguilles de pin réchauffées par le soleil, je me retrouve enfermée dans mon appartement, par peur d’une nouvelle crise.
Ma plus grande crainte, c’est que Claude s’en rende compte, et décide qu’il est temps de me placer dans une maison spécialisée. Heureusement qu’elle ne vient plus souvent me rendre visite.
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