Une vie bien rangée

C’est un blondinet à la tête de jeune premier de la classe. Limite acteur américain mais avec les yeux un peu trop enfoncé dans ses orbites pour pouvoir faire carrière. Il est assis en face de moi dans le train. Je lui donne la fin de la vingtaine. Il pourrait s’appeler Jean-Baptiste. Ou Charles peut-être.

Il porte un costume de prêt-à-porter bordeaux, une cravate à motif cachemire associée à une pince à cravate dorée, une chemise blanche mal repassée, un manteau noir pas très bien taillé, une écharpe nouée autour du cou et des chaussures en daim alors qu’il pleut comme vache qui pisse.

Il sort d’un petit sachet en papier un croissant à l’aspect quelconque qu’il prend en photo avant de l’engloutir en deux bouchés.

Une fois ce déjeuner consommé, il sort de son sac un magazine de jeu SLAM avec la grosse tête de Cyril Féraud en couverture. Puis, religieusement, il extrait d’une petite trousse orange un surligneur, orange lui aussi, ainsi qu’un stylo feutre, orange toujours.

Il commence une grille de mots mélangés.

Jamais vu quelqu’un d’aussi concentré. La seule distraction qui l’arrache à ses grilles de jeux est son téléphone, sur lequel il tape du bout du majeur, comme le feraient sans doute ses parents.

Un bout de feuilleté de son croissant reste collé à sa lèvre. Cela ne l’empêche pas de surligner le mot anguille puis de le rayer de la liste avec le petit stylo feutre. À chaque fois qu’il passe du surligneur à son stylo, il prend soin de fermer le bouchon de celui qu’il n’utilise plus.

Lors du contrôle des billets, il est très enjoué de tendre son billet ainsi que sa carte d’identité.

Je ne suis pas enquêteur mais toutes ces prédispositions traduisent selon moi la profession de JB. Il doit être comptable. Ou bien juriste.