Les vieux de mon âge
Il porte un costume gris souris, une chemise blanche boutonnée jusqu’au cou. Aux pieds, on peut apercevoir une paire de mocassins à glands imitant des Berluti. Il les porte pieds nus. Il se tient très droit. Son port de tête est irréprochable. On sent qu’il a été éduqué à l’aide d’un manche à balais glissé dans le slip.
Pour l’apéritif, il commande une Suze puis s’enquiert de ce que ses parents souhaitent consommer. Il le fait en les vouvoyant. Cela confirme la première impression éducative. Il s’agit définitivement d’un rare récipiendaire d’une éducation façon bourgeoisie du début du vingtième siècle.
Il est difficile de lui donner un âge. Son capital capillaire est intact. Son corps semble dans la force de l’âge. Au contraire, son visage parait déjà bien marqué par le passage des saisons. Et pas forcément les saisons les plus rieuses. La peau est flasque. Les traits de sa bouche sont tirés vers le bas, les oies dont ses yeux se sont inspirés devaient être unijambistes.
Au dessert, l’excitation autour de la table monte.
Il souffle sur la bougie et ses parents applaudissent doucement, le sourire aux lèvres. Il a l’air heureux. Sa mère lui tend un petit paquet. À l’intérieur se trouvent des boutons de manchettes et une cravate bleu roi. Ému, il dit : « C’est tout ce dont je rêvais. Merci mille fois. »
Sur le gâteau d’anniversaire figure son âge. Trente ans.
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