2 min read

Vous allez me rendre chèvre

J’ai toujours pensé que les chèvres étaient des animaux extra-terrestres, destinées un jour à prendre le contrôle de la planète et de tous nous soumettre à leur règne caprin. Pour soutenir ma théorie, voici les quelques preuves amassées jusqu’ici :

  • Leurs yeux, dotés de pupilles horizontales. Les éthologues expliquent que cela leur donne une vision à 330°, leur permettant d’échapper aux prédateurs plus facilement. Pour moi, ils ont une autre utilité : enregistrer nos comportements afin de mieux préparer leur future conquête.
  • Leurs béguètements. Alors oui, cela donne des vidéos hilarantes sur Internet. Mais on ne m’ôtera pas de l’idée que c’est le seul moyen qu’ont trouvé les chèvres dissidentes pour nous prévenir de l’imminence du cataclysme.
  • Leur formidable capacité à escalader des parois allant jusqu’à 60° d’inclinaison, ne nous laissant aucune échappatoire.
  • Les cornes affutées de leurs mâles, qu’ils utiliseront certainement pour nous embrocher
  • Leurs barbichettes, qu’elles ont tendance à lisser entre leurs sabots tout en manigançant contre nous.

Aujourd’hui, j’ai été le témoin d’une agression caprine. Le vent soufflait sur le haut plateau décharné de la Sainte-Victoire. Le paysage était très minéral, seule la garrigue apportait quelques touches de vert au blanc-gris des roches de la montagne. Vue d’en bas, avec ses plis, on dirait un accordéon en voie d’être détendu. Des vagues de nuages menaçants passaient à grande vitesse dans le ciel, chassés par le vent qui forcissait.

Là, un groupe de cinq humains, visiblement harassé par la longue ascension. Ils regardent derrière eux, comme s’il manquait quelqu’un. Une personne à la traine sûrement.

Un cri strident retentit soudain et tranche avec le bruit du vent. Le groupe de cinq commence à paniquer. Ils tirent plein ouest, en courant. La menace n’est pourtant pas claire depuis mon point de vue.

L’un d’entre eux tombe. Personne pour le relever. C’est chacun pour soi. Et j’aperçois enfin le motif de leur terreur.

Un bouc, assoiffé de sang et de vengeance. Il lui reste entre les cornes un lambeau d’élasthanne jaune fluo de ce que je suppose être la parka du sixième randonneur.

Ils ont dû oser prononcer les mots interdits. Sûrement sur le ton de la blague, je n’en doute pas. Et ce n’était certainement pas destiné à l’animal. Mais le bouc a entendu. Et il est à bout. « Oh, Marcel, au retour, tu prendras une douche parce que là, tu pues le bouc, peuchère. » Je tremble de retranscrire ces mots.

Au bout de la montagne, les randonneurs pensent trouver le salut sous la forme de la Croix de Provence. Au pied de la Croix se trouve le Prieuré Sainte-Victoire. Avec un peu de chance, les portes fermeront peut-être et ils pourront appeler les secours.

Les quatre se ruent dans le prieuré, ferment les portes de l’enceinte extérieure et essaient d’ouvrir la porte du refuge. Enfer ! La saison n’ayant pas encore commencée, le refuge est fermé à double tour. Les randonneurs se rassemblent autour de l’arbre de la cour, en lui faisant dos. De cette manière, ils ont une vision à 360° et pourront réagir plus rapidement en cas d’attaque

Mais c’était oublier qu’un bouc enragé est plus rapide qu’un Kilian Jornet en pleine Pierra Menta. Ce fut un carnage. Les randonneurs tentèrent de résister mais ils ne purent rien faire.

Plus tard, quand je suis allé récupérer les corps, je me rendis compte de leur erreur. Ne jamais partir randonner avec des sandwichs au Petit Billy…