Y'a pas d'mélèze !
Cela fait maintenant cinq ans que je suis coincé ici. Accident de ski. Lésion de la vertèbre L3. Pour moi, L3 désignait une case aux échecs. Sacré échec que cet accident de ski… Je suis devenu paraplégique. Un comble quand on vit en montagne et que, pour aller acheter du pain, il faut descendre une côte à 17%.
J’ai tout tenté, même faire monter des freins à disque sur mon fauteuil. Ça fait le boulot pour descendre. Mais ce n’est jamais très reposant. Et pour remonter, c’est vraiment la galère. Alors, la plupart du temps, je reste au chalet. Trois fois par semaine, Guillaume passe avec les courses. On discute un peu, on partage un café, et il repart.
On m’a installé un coin près de la fenêtre. La vue sur la vallée d’en face m’inspire et me permet de mieux écrire.
En cinq ans, je suis passé par toutes les émotions. Mais je pense que j’ai réellement commencé à accepter ma situation en observant la forêt là-bas. Alors qu’avant l’accident, je considérais la forêt comme un ensemble immuable. Ma condition m’a fait revoir ma copie. Je m’émerveille chaque jour de cette palette toujours changeante. Je ne sais pas si c’est parce que ça rime avec malaise, mais j’ai un faible pour les mélèzes.
En juillet août, ils se dressent, fiers et valeureux, permettant à toute la faune montagnarde de trouver une oasis de fraicheur contre les chaleurs estivales. À l’automne, ils se parent de leurs plus beaux atours. Tout d’or vêtu, c’est comme s’ils étaient invités au carnaval de la forêt. En hiver, ils sont recouverts d’un lourd manteau blanc, qui tombe sans bruit au moindre mouvement de branche.
Mais ce que je préfère, c’est au printemps. Les petits bourgeons vert pomme contrastent avec le vert foncé du reste de l’arbre. Avec mes jumelles, j’observe les oiseaux revenir et y établir un nid. Les écureuils sautent de branche en branche et s’en donnent à cœur joie.
Le moment le plus magique, ce sont les jours de pluie. Des vagues de brouillard viennent lécher la forêt. Parfois, la purée de pois est telle que je ne vois pas à cinq mètres. D’autres fois, j’ai l’impression que les mélèzes s’engagent dans une danse avec les nappes de brume. Le rythme est varié, on passe de la valse au fox-trot ; du rock au tango.
Ne sentant plus le bas de mon corps, voir les arbres s’animer ainsi m’emplit de joie. C’est vraiment exaltant. Au fond, ce sont les plus petites choses qui me permettent d’accepter cette situation.
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