Z’ai cru voir un grosminet
C’est la phrase fétiche de Titi, petit canari jaune des Looney Tunes. Personnage attachant, il sait s’attirer l’affection de Mémé pour déjouer les ruses de Sylvestre le chat.
C’est pourtant le seul représentant de son espèce à nous avoir un tant soit peu marqué ces dernières décennies. Pensez-y. Mis à part Titi, connaissez-vous un autre canari ? Amis nantais, calmez-vous. Cela fait peut-être du mal à se l’avouer mais les exploits de votre club de foot remontent à plusieurs décennies.
Or, en remontant le temps, on se rend compte que la popularité de cet animal était tout autre. Il est d’ailleurs estimé qu’aux États-Unis, à la fin du 19ᵉ siècle, un foyer urbain sur quatre en possédait un. La raison ? Leur capacité à chanter. Avant l’avènement des phonographes, gramophones et autres radios, les canaris étaient l’une des rares formes de divertissement audio à domicile. Ils permettaient aux néo-urbains, récemment arrivé de leur campagne, de s’échapper des environnements bruyants de la ville et de retrouver les sons de la ruralité qu’ils venaient de quitter.
Remontons donc sur la piste du canari.
Les canaris tirent leur nom de leur habitat originel : l’archipel, désormais espagnol, au large du Maroc. C’est sur ces îles que les Européens découvrent et s’éprennent de ce petit oiseau. À noter qu’à l’époque, les canaris n’étaient pas jaunes mais plutôt vert pétillant et brunâtre. Ce n’est qu’au fil des croisements successifs qu’ils ont pris cette teinte caractéristique.
Les Espagnols furent les premiers à en rapporter en Europe. Au 15ᵉ siècle, c’était un cadeau de luxe à la Cour du Roi d’Espagne. Il était courant pour les femmes de la Cour de porter un canari comme ornement vivant. Cette mode s’est vite propagée aux autres Cours européennes. Chacun souhaitait sa petite dose d’exotisme. Tant et si bien qu’un véritable commerce débuta. Il fut très profitable aux Espagnols, qui, en connaissance de cause, ne vendaient que des mâles.
Cela dura un certain temps jusqu’à ce qu’une compagnie italienne réussisse à s’en procurer une cargaison ainsi qu’à trouver des femelles. C’est le départ d’un véritable raz de marée canari. Car outre leur apparence exotique, ils sont désormais recherchés pour leur formidable capacité à chanter.
Il est bon de rappeler que tous les oiseaux ne chantent pas. Les chanteurs ne représenteraient que la moitié des oiseaux connus. Et parmi eux, rossignols, étourneaux et canaris occupent une place de choix. Contrairement à d’autres espèces, ils sont en mesure d’apprendre de nouveaux airs tout au long de leur vie.
Les éleveurs de canaris se sont rapidement rendu compte qu’ils ne naissaient pas avec leurs chants mais qu’ils les apprenaient de leurs ainés. Puis, ils ont réalisé qu’ils étaient capables d’apprendre en s’inspirant d’autres espèces d’oiseaux d’abord, puis d’autres espèces tout court. Si un oiseleur sifflait suffisamment souvent un même air auprès d’un canari, ce dernier était en mesure d’apprendre ce nouvel air.
Tant et si bien que de nouveaux métiers apparurent : les siffleurs d’oiseaux. Ces derniers gardaient les petits canaris en cage et leur répétaient les mêmes morceaux jusqu’à ce qu’ils les retiennent. Ils utilisaient un flageolet, une petite flute leur demandant une certaine expertise musicale, ou une serinette, sorte d’orgue portatif à manivelle, qui ne leur en demandait aucune. Cet apprentissage était réalisé en gardant les oiseaux dans l’obscurité totale, afin que seule l’audition des canaris soit stimulée.
Ce procédé fut amélioré jusqu’à atteindre une dimension industrielle avec une usine allemande d’entrainement de canaris. L’usine était composée de milliers de cages d’oiseaux, toutes équipées d’un haut-parleur afin de leur enseigner de nouveaux airs. Dès lors, les canaris n’étaient plus appréciés pour leurs propres chants mais pour leur capacité à reproduire ce que les humains estimaient être les sons de la nature. Les allemands étaient devenus maitres de l’enseignement et de l’export du petit oiseau, qui n’avait plus rien à voir avec son ancêtre insulaire.
Cette période d’industrialisation correspond à une prolétarisation des canaris. Ils sont passés des Cours européennes aux mineurs. En plus de cette disposition à reproduire des sons, ils étaient aussi utilisés comme animal sentinelle dans les mines. Leur métabolisme très sensible au monoxyde de carbone permettait aux mineurs de rebrousser chemin dès que l’oiseau commençait à s’agiter.
La mode des canaris s’est essoufflée peu de temps après la Première Guerre mondiale. Les produits allemands n’avaient plus la cote, la technologie audio commença à les remplacer. Ils sont tombés en désuétude, relégués à un rôle de compagnon de personnes âgées, devant toujours faire attention de ne pas se faire manger par Grosminet.
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